mercredi 13 décembre 2017

L Suel à l'aveuglette en 2001 avec J Kerouac et P Smith (1/5)

En août 2001, Philippe Robert m’a interviewé longuement sous la forme d’un blind test. Il m’a donc envoyé par la poste (hé oui!) une cassette d’une dizaine de morceaux, à charge pour moi de les reconnaître et de répondre aux questions ayant un lien avec ce que j’avais entendu. Cet entretien a été publié en septembre 2001 à Grenoble dans le n° 49 de « Revue et corrigée ».
Nous le publions en cinq parties au Silo. Voici le premier épisode (bande-son : Jack Kerouac et Patti Smith).

1.
Jack Kerouac / Steve Allen "Readings from On the road and Visions of Cody"
Jack Kerouac lisant un extrait de sur la route, j'entends Dieu qui s'adresse à lui et lui dit : "go moan for man". Il parle de son frère mort, de son père mort, de sa mère au loin... Cette lecture accompagnée au piano est dans ma tête depuis le début des années 70. J'avais réussi à en capter un extrait à la radio, chose rare à l'époque. J'avais aussi une cassette de Burroughs éditée en Allemagne et j'ai expérimenté mes premiers collages sur bande magnétique en mêlant les voix de Kerouac, Ginsberg et Burroughs, plus un extrait du premier album des Fugs. C'est de Kerouac que je me suis toujours senti le plus proche, par l'éducation, la religion (catholique par l'éducation et bouddhiste par l'étude), ce balancement continu entre être dans le monde et se retirer du monde... et quelle œuvre ! Ces temps-ci, soirs d'été, je me délecte à lire Dharma, le grand inédit posthume (comme annoncé en couverture), en fait un immense collage journal émouvant, érudit et poétique...

La Beat Generation semble être à l'origine de ta vocation d'écrivain... Tu as rencontré Claude Pélieu et édité Starscrewer en France... Y a t-il d'autres écrivains qui t'ont marqué et pour quelles raisons ?

Les écrivains qui m'ont vraiment marqué sont dans la beat generation, Kerouac et Burroughs, dans le vingtième siècle français, Louis-Ferdinand Céline et Georges Bernanos, et dans le 19ème siècle, Joris-Karl Huysmans et Léon Bloy ; je peux ajouter le poète Arthur Rimbaud et tous ceux du mouvement dada. Je fais aussi un cas particulier des Chants de Maldoror, le livre qui a marqué ma jeunesse... Il y a deux ans, à Liège, Jacques Izoard qui me questionnait en public s'étonnait de me voir citer Bernanos avec Burroughs, à quoi je répondais que tous ces écrivains ont en commun d'être des révoltés, de dénoncer la société moderne, l'oppression machiniste et technicienne, le contrôle pseudo-démocratique, la tyrannie de l'économie, la destruction de la planète au nom du progrès, et tout cela toujours lié chez eux à un évident souci du langage, du style et de la forme.

2.
Patti Smith "Piss factory"
J'ai ce 45 tours. "Piss factory" est la face B avec Lenny Kaye. La face A, c'est "Hey Joe" avec Tom Verlaine à la guitare et toute l'histoire de Patty Hearst avec la Symbionese Liberation Army. J'aime bien ce côté talking blues, un truc d'écrivain. J'ai vu Patti Smith lors de son retour sur scène en 1998. Elle est passée à Dranouter, un grand festival folk en Flandre belge, pas loin de chez moi. J'y suis allé avec ma fille Marie qui chante aussi dans un groupe (Gomm). C'était très émouvant de voir Patti Smith, quinquagénaire comme moi, avec cette énergie, cet humour. Elle avait commencé en lisant un extrait de "Howl" de Ginsberg qui venait juste de mourir. J'étais vraiment très ému...

Le numéro 11 de Starscrewer est consacré au punk, quelque chose d'important pour toi...
Sur Radio-Banquise, tu as programmé beaucoup de garage et de hardcore...

J'avais publié un poème inédit de Patti Smith dans le n° 11 de Starscrewer, en 1978-79. C'était une grande époque de créativité après la récupération des idées des années 60. Bazooka Production, néo-dada, la destruction de la mode, la musique faite par tous... De nouveau, on trouvait des 45 tours à acheter (Desperate Bicycles, Spherical Objects, Buzzcocks, X-ray spex...) Ça n'a malheureusement pas duré très longtemps. En 1982, j'ai participé à la création de Radio-Banquise, une radio libre associative. J'avais une émission, "Bris-collage" et je diffusais toutes ces musiques non commerciales, bruitistes, faites à la maison, et qui m'arrivaient par la poste...
Être punk aujourd'hui, ça ne veut plus dire grand chose. Par contre, on peut encore être dans l'underground, le non-académique (en gros, ce dont on ne parle pas dans les médias dominants), dans une logique de l'échange, voire du don, en dehors du profit.
à suivre...


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posted by Lucien Suel at 08:14